Immaculée Conception — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Immaculée Conception

Homélie de Mgr Philippe Ballot

Solennité de l'Immaculée Concepmtion de Marie

Béatification à Oran de 19 martyrs d'Algérie.

Homélie

Chers amis, chers frères et sœurs,

 « La main qui a relevé les unes est la même qui a préservé les autres de tomber. »  C’est ainsi que s’exprime le bienheureux Jean Joseph Lataste (XIX ème siècle), fondateur de la congrégation des sœurs dominicaines de Béthanie, dans son opuscule : « Les réhabilitées ». Il évoquait ces femmes qu’il avait rencontrées en prison et celles dont la vie n’avait pas été perturbée mais plutôt épargnée, les unes et les autres pouvant être dans cette congrégation, vivant dans une totale discrétion quant au passé des unes et des autres.

On pourrait le dire à propos de Marie, l’Immaculée Conception, et Marie-Madeleine, la pécheresse convertie : la main qui a relevé l’une est la même qui a préservé l’autre. Car c’est le même amour qui est prévenant (Marie) et qui agit dans le pardon (Marie-Madeleine). Les deux seront là au pied de la Croix.

Une autre sainte, Thérèse de Lisieux, écrivait : « On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que, si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance ; je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent. Vous raconterez ensuite l’histoire de la pécheresse convertie qui est morte d’amour : les âmes comprendront tout de suite, car c’est un exemple si frappant de ce que je voudrais dire, mais ces choses ne peuvent s’exprimer. »    (Thérèse de Lisieux, Poésie « au Sacré-Cœur. »).

En célébrant la béatification de nos frères et sœurs d’Algérie, tout particulièrement nos frères Christophe et Paul, le jour de la fête de l’Immaculée Conception, nous confessons cet amour tout-puissant. Nous ne célébrons pas simplement des héros même s’ils le sont. Nous célébrons des martyrs, c’est-à-dire des témoins de cet amour. Ils ont aimé jusqu’au bout, comme Jésus, sachant que cela pouvait passer par leur mort, décidée et réalisée par d’autres hommes.

Mais aujourd’hui, pouvons-nous nous tourner vers le Dieu de miséricorde, avec nos frères et sœurs martyrs, en pensant à ceux qui leur ont donné la mort, et dire avec le pape François « face à la gravité du péché, Dieu répond par la plénitude du pardon. La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne. » ? (« Le visage de la Miséricorde »)

Les martyrs d’aujourd’hui nous répondent par l’intermédiaire du prieur de Thibhirine, Christian de Chergé qui achève ainsi son testament spirituel: « Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je veux ce MERCI, et cet A-DIEU en-visagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen ! Inch’Allah ! » (Testament de Christian de Chergé).

Si notre peine est encore là, bien présente, avec notre grande tristesse, elle n’est plus celle du début. Elle aussi se transfigure petit à petit dans l’amour absolu, éternel. Nos larmes coulent encore… Qu’elles deviennent, surgissant de nos cœurs comme du cœur du Christ en croix, fleuves d’eau vive. Que le Seigneur accomplisse dans nos cœurs ce miracle !

Alors osons dire : Que la main qui a tué devienne celle capable de bénir !

On se souvient de l’exécution de vingt et un chrétiens, coptes orthodoxes, décapités par des djihadistes en Libye, vingt égyptiens et un soudanais. Une très belle icône les représente sur la plage, en tunique orange, de la couleur de la combinaison que les terroristes mettent à leurs victimes. Ils portent l’étole rouge du martyre et ont tous le même visage qui ressemble à celui de Jésus qui, dans le ciel, leur ouvre les bras. Les bourreaux ont diffusé une vidéo les filmant marchant en file indienne sur la plage, menottés. Ceux qui ont vu cette vidéo témoignent que les deux derniers mots, prononcés par chacun, furent « Ya rab Yeshua » « Seigneur Jésus ». L’évêque copte catholique de Gizeh, Mgr Antonios Aziz Mina, a prononcé ces paroles : « Le nom de Jésus est le dernier mot qui a effleuré leurs lèvres. Comme dans la passion des premiers martyrs, ils s’en sont remis à Celui qui peu après, les aura accueillis. Et ainsi, ils ont célébré leur victoire, la victoire qu’aucun bourreau ne pourra leur enlever. Ce nom susurré au dernier instant a été comme le sceau de leur martyre ». Parmi les martyres, deux frères, Bishoy, 25 ans, et Samuel, 23 ans. Leur frère Beshir Kamel a affirmé que ce meurtre a « aidé à renforcer la foi » des coptes en Égypte. Il a aussi confié que sa maman, « une femme sans instruction âgée d’une soixantaine d’années », avait pardonné au tueur de ses fils : « Ma mère a dit qu’elle demanderait à Dieu de le laisser entrer dans Sa maison parce qu’il avait permis à ses fils d’entrer dans le Royaume des cieux ». C’est la réponse des disciples du Christ. Elle nous vient d’Orient. Elle nous vient aussi d’Occident avec nos frères et sœurs qui sont béatifiés aujourd’hui. Elle nous interpelle. Personne parmi les chrétiens ne peut appeler à la vengeance et à la haine. Un jour la fraternité et le dialogue l’emporteront. Le dire aujourd’hui n’est pas être naïf mais c’est savoir que Dieu, qui est Amour, l’emporte toujours, jusqu’au dernier souffle : « Seigneur Jésus».

C’est dans cet amour que nous avons tous été choisis a rappelé Saint-Paul: « Il (le Père) nous a choisi, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant Lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour Lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ.» (Eph 1). C’est la vocation de tout homme. Et Marie, la première des rachetés, l’Immaculée Conception, nous indique ce que nous allons devenir : « immaculés ».

Conçue sans péché, sans que le mal n’ait pu l’atteindre, sans que son humanité n’ait pu être souillée, elle a laissé grandir dans sa chair Celui qui prendrait notre chair de péché pour la transfigurer définitivement. Nos martyrs ont vécu cette transfiguration.

Nous associons aussi avec simplicité et humilité, dans cet amour qui nous vient de Dieu, tous les imams morts en s’opposant à la violence et tant d’autres, mais aussi Mohamed qui s’est interposé, pendant la guerre d’Algérie, au risque de sa vie, pour protéger celle Christian de Chergé, cet autre Mohamed, chauffeur de Mgr Pierre Claverie qui écrivait dans son carnet de souvenirs, il avait 21 ans, peu avant l’explosion qui les tua tous les deux et les unit à jamais, le texte suivant que l’on peut considérer comme son testament :

« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Avant de lever mon stylo, je vous dis : La Paix soit avec vous. Je remercie celui qui va lire mon carnet de souvenirs, et je dis à chacun de ceux que j’ai connus dans ma vie que je les remercie. Je dis qu’ils seront récompensés par Dieu au dernier jour. Adieu à celui qui me pardonnera au jour du jugement ; et celui à qui j’aurai fait du mal, qu’il me pardonne. Pardon à celui qui aurait entendu de ma bouche une parole méchante, et je demande à tous mes amis de me pardonner en raison de ma jeunesse. Mais, en ce jour où je vous écris, je me souviens de ce que j’ai fait de bien dans ma vie. Que Dieu, dans sa toute-puissance, fasse que je Lui sois soumis et qu’Il m’accorde sa tendresse. »

L’ange dira à Marie : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; Tu lui donneras le nom de Jésus. Son règne n’aura pas de fin. » (Luc, 1 26-38)

Nos frères martyrs d’Algérie, nos frères Paul et Christophe, nous le rappellent aujourd’hui. Ce règne-là, celui qui les a habités et dont ils ont été les témoins, n’a pas de fin.

Laissons alors à frère Christophe les mots de la fin de cette homélie, mots qu’il a écrits dans cette abbaye, une vingtaine d’années avant son martyre, que frère Paul avec lui, a traduit dans sa chair, car Dieu nous a aimés à l’extrême de son amour jusqu’à l’extrême de nous-mêmes :

« Au combat d’aujourd’hui, le jour enrôle. C’est la guerre dernière. Jusqu’à l’extrême il faut tenir, garder le témoignage et vaincre par le regard. Jusqu’à l’extrême il faut bénir, offrir l’action de grâce et vaincre par la louange. Jusqu’à l’extrême il faut servir, faire la vérité et vaincre par l’amitié. Pour gagner le cœur de l’homme il faut AIMER » (frère Christophe)

Mgr Philippe Ballot

 

Les 19 martyrs d'Algérie

 

8 mai 1994

- Frère Henri Vergès mariste
- Sr Paul-Hélène St-Raymond
Petite Sœur de l’Assomption

23 octobre 1994

- Sœur Esther Paniagua Alonso
- Sœur Caridad Alvarez Martín
Espagnoles Augustines missionnaires

27 décembre 1994

- Père Jean Chevillard
- Père Alain Dieulangard
- Père Christian Chessel
- Père Charles Keckers
Pères Blancs en Kabylie

3 septembre 1995

- Sœur Angèle-Marie Littlejohn
- Sœur Bibiane Leclercq
Missionnaires de ND des Apôtres

10 novembre 1995

Sœur Odette Prévost
Petite Sœur du Sacré-Cœur

30 mai 1996

Les moines de Tibhirine

1er août 1996

Mgr Pierre Claverie
Évêque d’Oran