Homélie Carême 2 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie Carême 2

Par Frère Patice

Je pense et j'espère qu'il vous est déjà arrivé dans votre existence de vous trouver un jour en un lieu merveilleux, seul ou avec des personnes avec lesquelles vous avez de profondes affinités, et de vous exclamer à un moment (généralement après un bon temps de silence) « c'est fou ce qu'on est bien ici ». Et pourquoi cette personne merveilleuse ne pourrait-elle pas être Dieu et Jésus que nous cherchons dans la prière, dans une église ou devant le Saint Sacrement ! Parfois, aussi, il vous arrive de vous enfermer seul dans notre chambre ou de faire place nette dans votre coeur afin de laisser toute la place pour mieux savourer ce que vous avez vécu. Et puis parfois longtemps après de vous rappeler de ce moment privilégié et de vous dire « si seulement tout cela pouvait recommencer ». Mais souvent ce n'est plus possible, pour des tas de raisons.

Oui, effectivement, nous pouvons avoir une fois, deux fois dans notre vie le sentiment fugitif que Dieu est évident. Ce sont des instants merveilleux que l'on voudrait éterniser. A ces moments là, rien ne fait problème. La foi va de soi. Les contestations de l'athéisme semblent enfantines. On baigne dans la lumière ; on va jusqu'à dire qu'on «sent» Dieu, qu'on le touche, qu'on le respire presque physiquement

Et tout à coup plus rien. La nuit vient sur les yeux, la brume envahit l'intelligence, le coeur et la volonté. Plus rien n'est sûr. Ce n'est plus la colline dans le soleil mais la plaine morne et grise où vivent les hommes.

Et bien c'est exactement ce qui se passe dans l'évangile de ce matin, dont je ne veux que retenir qu'une courte phrase, celle prononcée par Pierre « Seigneur, il est bon que nous soyons ici».

Il se passe ici un évènement exceptionnel, un peu comme une vision qui ne définit ni n'explique vraiment le règne de Dieu, mais qui donne des images pour parler d'un invisible qu'on ne peut autrement décrire et d'un indicible dont on ne peut parler qu'en paraboles.

« Seigneur il est bon que nous soyons ici. »

Nous : Jésus prend avec lui trois disciples ; les mêmes que ceux qu'il prendra pour être témoins de la guérison de la fille de Jaïre et qu'il prendra pour l'accompagner au jardin de Gethsémani, probablement parce qu'il se sent bien avec eux. J'oserai dire que Jésus procure ici à ses disciples un grand moment d'intense amitié dont il aura bien besoin au moment de son agonie à Gethsémani. Nous touchons vraiment là l'humanité de Jésus...la même humanité qui nous fait dire « que je suis bien ici à partager ce moment avec d'autres ». Oui il nous est bon parce qu'il y a eu une rencontre. Cela me rappelle un très beau passage d'un livre de François CHENG. « Sur le trottoir d'en face, une femme rayonnante comme une déesse. Tout à coup elle a traversé la rue pour venir vers moi ; et en toute simplicité elle m'a dit « merci d'être ». Et François CHENG d'ajouter « la présence des autres me met dans un état où je suis en lien avec la vie ». C'est cela qui nous permet de nous dire tout d'un coup lors d'un moment de prière « il m'est bon d'être ici, parce que je suis seul d'une certaine façon, mais seul avec Jésus dont je sais et sens qu'il m'aime ».

Il nous est bon ! Souvent la Bible nous livre des passages assez austères, au point qu'ils pourraient nous faire fuir ou craindre d'entrer en relation avec Dieu que l'on ressent comme terrible ou froid. Bien sûr il faut accepter qu'on nous dise que ce bas monde peut être sombre, et cela nous évite des déceptions ! Mais il faut aussi se réjouir des évènements qui nous procurent de la joie et qui peuvent nous rappeler que même les plus petits bienfaits peuvent être un don de Dieu. Saint Grégoire le Grand a ce petit mot magnifique « pour nous approcher de Dieu, il faut marcher à pas d'amour ». Alors oui vraiment il est bon d'être avec lui.

Mais comme toute vision, cette transfiguration a son caractère prophétique, mais aussi passager. C'est l'éternelle tentation de vouloir posséder Dieu. Mais c'est aussi l'éternelle tentation entre humains de vouloir posséder l'autre. Or nous savons que personne n'aime authentiquement l'autre, sans éprouver un certain respect à son égard. Et que lorsque des amis passent outre à cette réserve dans leur affection, il se peut qu'ils puissent, pour un temps, entretenir cette relation ; mais ils ont brisé le lien de leur union.

Fort heureusement, de cette Transfiguration, il restera une parole, celle du Père « celui-ci est mon fils bien aimé ». La parole, la voix, a son importance et laisse une résonnance dans la mémoire de celui qui a vu et entendu.