Homélie Saint Bernard — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie Saint Bernard

Par Frère Raffaele

Dans un de ses sermon, saint Bernard écrit : « Si par une ambition puérile, nous voulons nous sauver par nous-mêmes, c’est à ton droit que nous sommes privés du salut. Celui qui dissimule sa misère paralyse la miséricorde de Dieu, tandis que nous provoquons sa compassion par l’humble confession de notre faiblesse ». Alors n’hésitons pas à reconnaitre nos péchés devant celui qui peut nous sauver, le Christ et invoquons-le avec confiance.

Homélie

- Frères et sœurs, je crois que la plupart d'entre vous savent pourquoi la liturgie nous a proposé un passage du Cantique des Cantiques comme première lecture. C'est que Bernard a écrit le plus beau commentaire du Cantique de toute l'histoire, excepté peut-être celui de son contemporain et ami Guillaume de Saint-Thierry. Le Cantique des Cantiques, ce dialogue entre un homme et une femme qu'on appelle habituellement l'époux et l'épouse, est le poème du désir, le poème de l'amour humain. De plus, au-delà de son sens littéral, la tradition chrétienne, à partir du Hie siècle, a interprété le Cantique comme un dialogue d'amour entre le Christ et l'Église, mais aussi entre le Christ et toute âme fidèle, toute âme assoiffée de lui. Qui est le Christ, pour Bernard ? Il est le visage aimable de Dieu : Dieu devenu séduisant, désirable. Or, seule la beauté peut éveiller le désir. Aussi, je voudrais dans cette homélie mettre en relief un aspect de la christologie de Bernard qui me parait particulièrement suggestif et savoureux : le Christ nous dévoile la beauté de Dieu, il est la beauté de Dieu révélée aux hommes. « Tu es beau, mon bien-aimé, tu es beau ! » s'écrie l'épouse du Cantique (1,15). Cette répétition est porteuse de sens, dit Bernard : elle désigne la double beauté du Christ, vrai Dieu et vrai homme. D'abord, l'épouse s'émerveille devant la beauté du Verbe en sa nature divine : « Que tu es beau pour tes anges, Seigneur Jésus, dans ta condition divine, au jour de ton éternité, engendré parmi les splendeurs des saints avant l'astre de l'aurore, image resplendissante de la substance du Père, éclat très pur de la vie éternelle ! » (SCt 45,9)

Mais la contemplation de cette beauté, pour le moment, est réservée aux anges. Bernard, « homme parlant à des hommes », doit se contenter de montrer à ses auditeurs le Verbe fait homme, car, même dans sa forme d'esclave, le Verbe incarné resplendit de beauté, la « beauté de la grâce », que Bernard exprime dans une formule saisissante : « La beauté du Verbe, c'est son amour. » (SCt 45,8). Cet amour a l'a poussé à se dépouiller de sa condition divine pour se faire homme. Ainsi, l'épouse continue son éloge de la beauté du Christ en ces termes : « Que tu es aimable pour moi, mon Seigneur, dans l'acte même de renoncer à ta beauté divine ! Lorsque tu t'es anéanti, lorsque tu as dépouillé ta lumière, c'est alors que ta bonté a brillé davantage, que ta charité est apparue plus éclatante, que ta grâce a rayonné plus intensément. » (SCt 45,9)

Tous les mystères de la vie humaine de Jésus nous révèlent sa beauté, mais deux surtout, deux qui sont comme les deux volets d'un même diptyque : sa mort et sa résurrection, qui constituent le mystère pascal. La Passion du Christ a inspiré à Bernard des pages vibrantes dans les Sermons sur le Cantique. Mais une question se pose à ce propos. Comment peut-on encore parler de beauté dans ce mystère où le Christ, selon la parole du prophète Isaïe 53,2, n'avait ni éclat ni beauté ? C'est qu'il nous faut dépasser les apparences pour reconnaitre la beauté du Christ crucifié, à l'exemple du centurion romain qui s'écrie au pied de la Croix : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! » (SCt 28, 4. 11), ou du bon larron qui reconnait la royauté du Crucifié (ibid. 11). Seuls les yeux de l'épouse, illuminés et rendus clairvoyants par la foi, ont su reconnaitre le visage de Dieu dans cet homme humilié et défiguré : « Sous le voile de la chair, elle a reconnu Dieu ; dans la mort, la vie ; le comble de la gloire et de l'honneur, au milieu des outrages. » Ainsi, de façon paradoxale, c'est l'abjection de la Croix qui est la révélation suprême de la beauté et de la gloire du Christ. Et Bernard conclut son sermon par une remarque très juste et très profonde : à l'imitation de son Époux, l'Église n'est jamais aussi belle que lorsqu'elle est persécutée. Mais il y a aussi le deuxième volet du mystère pascal : la Résurrection, où Bernard contemple la beauté du Christ dans son humanité glorifiée. Pour exprimer la beauté du Ressuscité, il recourt à la métaphore de la lumière et du soleil, qui jalonne toute la Bible et qui culmine dans l'affirmation fulgurante de la première lettre de S. Jean : « Dieu est lumière. » (1 Jn 1,5) Voici un texte où Bernard évoque la beauté du Christ ressuscité : « Combien rutilant tu resurgis du cœur de la terre après ton couchant, Soleil de justice ! Dans quel vêtement magnifique, Roi de gloire, tu te retires enfin au plus haut des cieux ! [le « vêtement magnifique » désigne le corps glorifié du Seigneur] Pour toutes ces merveilles, comment tous mes os ne diraient-ils pas : Seigneur, qui est semblable à toi ? » (SCt 45,9)

Dans un autre sermon, Bernard oppose la lumière tamisée du Christ dans sa vie terrestre à la lumière éblouissante du Ressuscité. Durant tout le temps de la vie de Jésus sur terre, écrit-il : « Sa lumière parut bien faible et vraiment comme une lumière d'aurore, si bien que presque tous ignoraient encore que le jour s'était levé sur les hommes. » (SCt 33,5) « Oui, c'était une aurore, et même une aurore assez sombre, que toute la vie du Christ sur la terre, jusqu'à ce que, parvenu à son couchant, puis à son nouveau lever, il eût chassé l'aurore par la lumière plus éclatante de sa présence solaire. Alors le matin apparut et la nuit fut engloutie dans la victoire. » (Ibid., 6)

Frères et sœurs, voilà quelques textes, choisis parmi bien d'autres, qui nous montrent comment Bernard aime à contempler et à faire ressortir, dans le mystère du Christ, la beauté. Car, sans la beauté, la vérité est froide, et l'amour perd son attrait. Dans le Christ, vérité, amour et beauté sont indissociables. Bernard nous le rappelle dans une admirable formule : « La beauté du Verbe, c'est son amour. » (SCt 45,8)