Homélie TO 23 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie TO 23

Par Frère Gaël

Chers frères et sœurs,

Nous venons d’entendre un extrait du discours de Jésus sur la communauté des disciples (Mt 18). Il leur indique deux chemins : celui de la correction fraternelle et celui de la prière en commun. Aujourd’hui, j’attire votre attention sur la correction fraternelle.

« Va faire des reproches à ton frère, ta sœur, seul à seul. » (v. 15) Pour bien nous faire saisir la portée du péché que nous sommes appelés à corriger chez les autres, Jésus envisage l’échec du dialogue seul à seul, et nous invite à un pas supplémentaire : tenir une réunion avec « une ou deux personnes » en plus. Si le récalcitrant s’obstine, ce sera devant toute « l’assemblée de l’Eglise » ! Nous comprenons que le péché commis contre une seule personne atteint en fait toute la communauté des enfants de Dieu. D’où le pouvoir de délier, le sacrement du pardon, qui réconcilie avec Dieu et avec l’Eglise celui qui a brisé la communion et a accepté la correction fraternelle. Nous comprenons aussi qu’il y a un impératif d’avertir le « méchant », comme nous l’avons entendu dans la première lecture, sous peine de porter nous-même la responsabilité de sa perdition (Ez 33, 7-9).

Quels sont donc ces péchés qui nécessitent notre intervention ? Saint Paul, dans la deuxième lecture, nous rappelait les péchés fondamentaux : commettre l’adultère, le meurtre, le vol, convoiter (Rm 13, 9). Un péché plus subtil, fréquent chez les moines, est dénoncé par saint Bernard : « la lèpre du propre-conseil… d’autant plus pernicieuse que plus cachée ; plus elle abonde, plus on y paraît en santé. Elle affecte ceux qui ont du zèle pour Dieu… ils suivent leur erreur, s’y obstinent et n’acceptent le conseil de personne. Les voici qui sèment la division parmi l’unité… [ils sont] vides d’amour et gonflés de vanité… » (Résur. III, 4)

Nous nous posons alors la question : de quelle manière corriger de tels péchés ? Beaucoup relèvent de la justice humaine. Les plus subtils nous dépassent ! Jésus me dit : tends la main à ton frère qui, tel un enfant au milieu d’une mare s’amuse et amuse les autres tandis que ses pieds s’enfoncent inexorablement dans la vase qui finira par l’engloutir. Et je réponds : je voudrais bien, mais je suis trop faible ! Il poursuit : Alors, prends d’autres frères avec toi ! Je me défile, comme Moïse à qui Dieu demande de faire sortir son peuple d’Egypte, en alléguant que je ne sais pas parler. Alors, il me dit avec humour : eh bien, appelle les pompiers, qu’ils envoient un hélicoptère ! Les pompiers, ce sont les saints du ciel. L’hélicoptère, c’est de prier Dieu d’envoyer son Ange, car tout est possible à Dieu. Saint Benoît dit aussi cela dans sa Règle des moines pour certaines situations. Et saint Bernard ajoute que l’exemple de Jésus à douze ans devrait convaincre les plus endurcis : alors qu’il était parmi les docteurs de la Loi et venait de découvrir qu’il était chez son vrai Père du ciel dans le Temple, il s’est soumis à ses parents terrestres et il est resté à Nazareth jusqu’à 30 ans ! Enfin, un dernier exemple de correction fraternelle, délicieux : sur une plage de la mer de Tibériade, à l’aube, un homme prépare un petit-déjeuner pour les disciples qui ont peiné toute la nuit sur leur barque, et il dit à Pierre : « M’aimes-tu ? », trois fois de suite ! Pierre en a les larmes aux yeux. Il est ainsi corrigé, dans une extrême douceur, de son triple péché de reniement du Fils de Dieu. Péché passible de rejet au jugement dernier ! (Mt 10,33) La correction de Jésus a l’effet d’une renaissance : Pierre est confirmé dans sa mission pastorale (Jn 21).

Les exigences de cet Evangile - tirer notre frère de la fange du bourbier - restent un défi et une grâce. L’homme a besoin du secours de Dieu et de ses frères. C’est pourquoi, demandons à Jésus, dans cette eucharistie où nous sommes réunis en son nom (Mt 18,19-20), de nous aider à pratiquer une correction fraternelle qui donne la vie.