Homélie Pâques — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie Pâques

Dom Ginepro

Frères, impossible d’en faire abstraction : fait rare dans l’histoire sinon unique, nous sommes en train de vivre, avec tous nos concitoyens (et pas seulement les chrétiens), avec nos frères en humanité, un étrange parcours que j’identifie avec une sorte de mort, une descente aux enfers collective. Tous ensemble, et cela aussi est bien étrange : croyants et non croyants ; ce qui crée une solidarité inattendue, rare entre nous tous. Et nous n’en sommes pas sortis, nous sommes au milieu du gué. Que voulons-nous faire de cet évènement ? Cela pourrait nous faire penser aux dix plaies d’Egypte, avec l’image d’un Dieu vengeur, qui châtie.

Cela me fait penser, aussi, au poète Dante  qui, tout en vivant la tragédie de sa vie, l’exil perpétuel qui lui fonce dessus, il peut imaginer une descente aux enfers qu’il rend ensuite à sa manière. Tout en constatant que la catastrophe le rattrape inexorablement, il réagit et, du drame de sa vie, il peut en faire un don extraordinaire à l’humanité.

Ses engagements politiques dans sa ville natale lui avaient valu d’abord l’exile et ensuite, sans qu’il puisse rentrer chez lui, il a eu droit à une condamnation à mort en contumace qui l’a poursuivi tout au long de sa vie. Et jamais plus il ne rentrera à la maison; il doit s’enfuir et enfin mourir loin de sa ville, exilé.
Pourquoi vous en parler ?

Je me suis dit que ce confinement qu’on expérimente maintenant est vécu par la plupart comme une sorte d’exil ; un exil paradoxal, à l’envers, peut-être pas pour nous, moines, mais qui est atroce pour certains : pensons à qui a besoin d’aide, aux familles où l’entente est particulièrement difficile… Et nous voilà enfermés dans nos espaces, prisonniers dans nos murs. Si on sort, la force publique arrête les fuyards, les sanctionne ou les menace. Et, surtout, il y a la menace de la contagion qui rôde, insaisissable et invisible. Pensons aux familles de par le monde privées de ressources maintenant que les délais de confinement s’allongent… Comment peuvent-ils se nourrir ? A l’état actuel on parle de 500 millions de nouveaux pauvres… Quelle angoisse ! Et… nous n’en sommes pas sortis, nous en sommes en plein dedans.

Et nous voilà nous, pour célébrer la Pâque : Pâque qui est mémorial de la sortie de la maison d’esclavage, Pâque qui est victoire de le Vie sur la mort. Mais, que fêtons-nous, en cette nuit, mes frères ? Quelle victoire voulons-nous célébrer ?

Le Christ a parcourut, lui aussi, un chemin bien étrange. Lui qui voulait sauver, libérer le genre humain – et c’est bien ce qu’il est arrivé enfin à faire – il a dû expérimenter toute sorte d’infamie de la part de son entourage, au point d’en mourir.                            Et Dieu l’a ressuscité.

Nous ne célébrons pas la victoire de l’homme sur la destinée adverse, sur les forces qui s’opposent au progrès de la civilisation. Au contraire : nous en mesurons plus que jamais les limites ; nous ne célébrons pas l’homme augmenté qui gagne en espérance de vie. Non ! Tout en constatant notre fragilité, nous célébrons Dieu qui ressuscite de la mort son Fils et il nous donne cet évènement comme gage d’espérance, comme promesse pour chacun, car le Christ nous a promis de faire la même chose avec chacun de nous.

Le Dieu que nous célébrons c’est le Dieu que nous révèle Jésus ; ce n’est pas un dieu qui punit, qui sanctionne : il est la Vie et il nous donne la Vie.

Et Dieu attend notre réponse. Dieu ne fera pas à notre place ce que nous devons faire, nous. Dieu ne nous enlève pas nos responsabilités.

Cette victoire n’est donc pas notre victoire à nous. C’est la victoire de Dieu. 

Voilà ce que nous fêtons. Et cette victoire de Dieu nous l’annonçons à tous.

« Si nous mourons avec lui, avec lui nous vivrons ».